
« Suis-je si mouillé… »
Suis-je si mouillé pour ne pas savoir que l’eau mouille, que le chien aboie et que je ne sais rien de ce que pense la grenouille, quand elle me voit ?
Suis-je si neutre pour ne pas m’émouvoir quand je les regarde, morts dans le même fossé, le jeune soldat russe et le jeune soldat ukrainien ? Deux anciens amis qui se renvoyaient la balle quand ils étudiaient dans le même collège et priaient dans la même église.
Autrefois, je trouvais l’absurde absurde. C’était de la philosophie. Aujourd’hui, ça me prend au ventre, ça me brise la tête, et ça m’arrache le cœur.
Tu deviens vieux me dit-on. Tu devrais savoir ce que tu enseignes : « Que tout cela n’est pas grave, puisque tout cela est impermanent. C’est le monde relatif qui s’écroule, l’Absolu est intact. N’est-ce pas toi qui dit : la cruche est cassée, l’espace qu’elle contient n’a pas bougé… Sois comme l’espace au cœur de ta maison, laisse tomber les murs qui tombent. »
C’est vrai, mais ce n’est pas toute la vérité. L’Agneau de l’Apocalypse n’est pas un mouton couché, il tient debout ; il tient debout mais il est égorgé.
L’amour est invincible je le sais, mais le cœur humain est vulnérable je le sais aussi. On a le droit de pleurer à la naissance et à la mort de ses enfants et de ses amis, on a le droit aussi de se réjouir de leurs joies et les aimer quand ils dansent…
Je ne fais pas l’apologie des émotions, mais rien n’est plus à craindre qu’un cœur dur, qui juge de tout avec indifférence, et qui pose sur le monde ce regard ricanant et fier des esprits aveugles.
Jean Yves Leloup – décembre 2025
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