On pourrait dire que chez Judas, il y a d’abord une phase d’affirmation positive de celui qu’il rencontre lorsque celui-ci guérit l’aveugle-né ; « Celui qui est » devant lui et marche à ses côtés semble répondre à ses aspirations et à ses attentes. Puis vient une phase d’idéalisation : « Celui qui est » avec lui devient une « idole », un messie idéal et rêvé. Cette affirmation surpositive peut aussi être appelée négative car elle perd toute objectivité (appréhension neutre de « ce qui est » et de « Celui qui est » précisément en « surobjectivant » son objet de dévotion). Yeshoua ne permettra pas à Judas de demeurer dans cette appréhension excessive de ce qu’il est. Il cassera son idole, son rêve… et le disciple, déçu par la réalité de « Celui qui est ce qu’Il est » et se sentant trahi par lui, passera à une appréhension négative de Yeshoua. Cette appréhension culminera dans la négation de YHWH, « Celui qui est l’Être qu’Il est » et le conduira à faire l’expérience du Néant, expérience que la tradition appelle « descente aux enfers ».
Un homme trahi le roman de Juda p.197/200.
« Je suis » …Chacun des « Ego Eimi » (Je Suis) de l’Evangile de saint Jean sont autant de sujets de méditation, sur lequel Ieschoua – en son mystère – tente de nous rejoindre, là (dans le monde) où nous sommes, afin qu’à travers ce Nom, cette qualité, cette énergie particulière, nous puissions le rejoindre à la Source, au Cœur, là où Il EST réellement. « Là où Je Suis, je veux que vous soyez vous aussi. » (XIV, 3.) Peut-on, dans une lecture intériorisée, faire de chacun de ces « Je Suis » du Christ un chemin vers notre propre « je suis » essentiel ?
L’Évangile de Jean p.322
« Je suis la vie » (XIV, 6) …Qu’est-ce qui meurt quand meurt un homme ? Ce n’est pas la Vie. « La vie continue », comme on dit. Ne peut mourir que ce qui est mortel… Avant toutes choses. IL EST la Vie, en LUI « Je Suis » la Vie… Je Suis.
L’Évangile de Jean p.322
« Je Suis la Porte » (X,7) « Être au pied du mur », « être dans un état à se cogner la tête contre les murs »… …Il ne faut pas fuir le mur…Face au mur, on ne peut trouver d’issue – de passage – qu’à l’intérieur. Alors, je comprends que « Je suis la Porte » – c’est en moi que doit se faire la percée vers un Ailleurs. Il n’y a pas d’autre issue que moi-même, et c’est en moi que doit s’ouvrir la Porte. La Porte des sens, la Porte du cœur, la Porte de l’Intelligence… mais cette porte, on ne doit pas la forcer ! … « Une porte s’est ouverte devant moi, et nul ne la ferme. »
Apocalypse
Là où je voyais un mur, je découvre l’Espace. Là où je ne pensais plus entrer ni sortir, voici que je demeure dans l’Ouvert. Il y a une issue au sans issue. « Lui en moi, moi en Lui » – « Je suis la Porte » – « JE SUIS ».
L’Évangile de Jean p.323
« Je suis la Lumière » (VIII, 12.) Aux heures les plus sombres de ma nuit, simplement dire, simplement penser : « Je suis la Lumière », peut donner naissance à la plus pure étoile… …IL est en moi – « plus moi que moi-même » – une lumière que les ténèbres ne peuvent atteindre, une clarté de braise que les cendres ne peuvent recouvrir, une étincelle de Déité que la pesanteur de tous les univers ne saurait écraser… « JE SUIS LA LUMIÈRE » – « JE SUIS ».
L’Évangile de Jean p.324
« Je Suis le berger » (1)-(X, 11) Martin Heidegger parle de l’homme comme étant le pâtre, le « berger de l’Être ». La mission et le sens de l’homme, en effet, c’est de « prendre soin de l’être »…
…Ce que Heidegger ne dit pas, c’est que l’homme n’est pas seulement le « berger de l’Être », il est aussi le Berger de l’Autre, et la question posée à Caïn, ce n’est pas « qu’as-tu fait de l’Être ? » mais « Qu’as-tu fait de ton frère, qu’as-tu fait de l’autre ? »
L’Évangile de Jean p.324/325
« Je suis le Fils. » (X, 36.) Être fils, c’est se sentir vivant dans une relation d’intimité avec la Source de l’Être, une relation ontologique certes, mais où le cœur est Présent, relation non seulement de cause à effet, de créateur à créature, mais de Père à fils… …Je suis le fils de mon Père, à l’image et à la ressemblance de l’Être et de l’Amour. « JE SUIS FILS DE DIEU » – « JE SUIS ». Il y aurait encore beaucoup d’autres « Je Suis » à méditer : « Je Suis le cep »… « Je Suis le pain de Vie »…
« Je Suis la Vérité »…
« Je Suis le chemin » (XIV, 6) Il n’y a pas d’autre chemin pour aller au bout de soi-même que soi-même. Pour « arriver » à son fruit, il faut accepter son arbre, reconnaître sa fleur, prendre un chemin de sève et mûrir jour après jour… …L’important c’est d’avancer – jour après jour – en rampant parfois, avec cette impatience qui est « démangeaison des ailes » jusqu’à cet « instant » où mon « je suis mortel » s’éveillera au grand « Je Suis » de l’Éternel…
L’Évangile de Jean p.327/328
…Si je ne m’éveille pas aujourd’hui à mon « Je Suis » essentiel et transcendant, je ne le connaîtrai pas plus tard… …On peut se demander alors si cette expérience du « Je Suis » est propre au Christ et aux chrétiens, ou est-ce une réalité universelle dont on peut trouver les échos dans d’autres traditions ?… …Ne citons que trois exemples : celui d’Hallaj, dans la tradition de l’Islam, et ceux de Shankara et de Nisagardatta dans la tradition hindoue… …Il ne s’agit pas de comparer, mais de mettre en résonance ces différents « Je Suis. Il n’y a pas d’autre réalité que la Réalité. Si le « Je Suis » aimant du Christ est Réel, on doit retrouver sa Présence dans toute expérience authentique : la Lumière, la Vérité, l’Amour ne sont la « propriété » d’aucune tradition particulière. « Le Logos est la Lumière qui éclaire tout homme venant dans ce monde », dit le Prologue de Saint Jean. Voir la Lumière briller dans les visages les plus différents ne peut que nous réjouir et nous inviter – quel que soit notre chemin – à devenir chaque jour davantage ce que nous sommes, et témoigner dans la forme qui nous est propre du « Je Suis » Essentiel, commun à tous les vivants…