LOGION 42 Jésus disait : Soyez passant.

Le thème du passage ou de la Pâque est important dans le christianisme (Peschar, la Pâque, veut dire passage en hébreu). Nous sommes des pèlerins et des passagers sur la terre. Nous sommes de passage… on ne construit pas sa maison sur un chemin ou sur   un pont. Il faut passer. Les années passent. Tout passe. Qu’est-ce qui ne passe pas ?

Psychologiquement, c’est déjà un signe de santé que de se considérer comme « passant » : c’est la Réalité. Savoir que cette souffrance intolérable, elle « passera », la rend déjà plus supportable. Savoir que ce plaisir fascinant, il « passera », nous rend plus libre à son égard et moins triste   lorsqu’il s’éloigne.

On connaît l’histoire de ce roi qui, une nuit, rêva qu’il possédait un anneau merveilleux. Lorsqu’il était déprimé, malheureux, et qu’il le regardait, un grand calme se faisait en lui. Lorsqu’il était enthousiaste ou se laissait aller à une jubilation intempestive, s’il regardait l’anneau, un grand calme de nouveau se faisait en lui, sa joie devenait paisible. Le matin, au réveil, le roi demanda à ses serviteurs de réaliser pour lui un tel anneau ou d’en trouver un semblable quelque part dans son royaume…

Après bien des recherches, les serviteurs trouvèrent enfin cet anneau au doigt d’une vieille femme qui extérieurement n’apparaissait pas comme « extraordinaire ». Elle était simplement sereine. Bien volontiers, elle donna son anneau au roi. L’effet magique ou merveilleux fut immédiat. Après quelques jours, le roi semblait sorti de ces manies maniaco-dépressives, de cette suite sans fin d’exaltations et de dépressions. Au-delà du rire et des larmes, il découvrait la grandeur et la   beauté du sourire.

À l’intérieur de l’anneau, il y avait seulement écrit en lettres d’or : « Cela aussi, ça passera ! »

Il est bon de se souvenir de cette petite phrase lorsqu’on est sur son lit d’hôpital : « Cela aussi, ça passera », ou lorsqu’on ne peut s’arracher à l’étreinte tant le bonheur est grand : « Cela aussi, ça passera. »

Empêcher le flux et le reflux de la vie de passer, c’est cela qui cause la souffrance. Laisser passer ce qui passe. Demeurer dans ce qui demeure.

« Soyez passant » ! C’est aussi être en chemin vers l’autre rive, des ténèbres vers la lumière, de ce « monde » vers le Père, disait Jésus. Passer de ce qui passe à ce qui ne passe pas, s’éveiller à la vie non née, ressuscitée, à l’autre rive de soi-même. On disait de saint Bernard qu’il avait le visage de quelqu’un qui va vers Jérusalem, le visage d’un passant, au regard terriblement attentif.

Un passant voit toutes choses pour la première et la dernière fois. Il ne se retournera pas en arrière. Il goûte chaque instant comme le lieu même du passage vers l’Éternel présent.

Découverte au début du siècle, sculptée en caractère arabes sur le porche de l’ancienne ville Fateh-pu-Sikri, construite au sud de Delhi par le Grand Mogol Akbar le Juste, on peut lire cet écho de notre logion :

« Jésus, la Paix soit sur Lui, a dit : le monde est un pont – passe dessus mais n’y établis pas ta demeure. »

Cette parole, toujours attribuée à Jésus, est citée par plusieurs auteurs musulmans dont Al-Ghazali   (1059-1111).