Dans ces Lettres à un ami athée, écrites lors d’un séjour au Mont Athos, Jean-Yves Leloup répond aux multiples interrogations d’un correspondant plein de curiosité : En qui et en quoi croit-il exactement ? Comment est-il devenu un suiveur du Christ ? Pourquoi a-t-il choisi l’Église orthodoxe ? Pour quelles raisons les Églises chrétiennes se sont-elles séparées ? Que sont les dogmes ? Quelle est la place du corps dans la tradition orthodoxe ? Celle de la sexualité ? Et, finalement, qui est Dieu ? Comment le rencontre-t-on ?
Jean-Yves Leloup raconte à son ami comment il s’est « ouvert à l’Infini » car « Voir Dieu, c’est voir le Jour, c’est demeurer dans la lumière ; la lumière étant ce qu’on ne voit pas, mais ce qui nous permet de voir toutes choses. »
Dans ces textes personnels, au ton tour à tour lyrique, léger ou grave, Jean-Yves Leloup retrace son itinéraire spirituel. Partant de son expérience de Dieu, il raconte comment il est venu à l’hésychasme, spiritualité fondée sur la prière du cœur, chère aux orthodoxes.
Jean-Yves Leloup ne cherche pas à convaincre son interlocuteur, car l’important n’est pas la vérité qu’on possède : il est en effet préférable de cheminer vers la Vérité qu’on est. Ce livre est en ce sens le plus précieux des compagnons de route.

Une première version de ce texte est parue dans Mont Athos, Sur les chemins de l’Infini, avec des photographies de Ferrante Ferranti (Philippe Rey, 2007)

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Lettre I

Mon cher A,

Tu me demandes ce que je fais, là, au Mont Athos. « Après tout ce que j’ai vécu, je ne vais tout de même pas me “rendre à Dieu”, à l’évidence… Jusqu’ici nous nous sommes très bien passés de cette hypothèse… » « Je ne croirai jamais, me dis-tu, que la grâce te soit tombée sur la tête, je crois plutôt que tu fuis.

Tu renonces au réel, tu vas rejoindre la horde des rêveurs d’outre-monde, tu vas cacher derrière une barbe, des volutes d’encens et sans doute bientôt une robe noire, ta vanité ou ta vacuité. Je ne doute pas, connaissant tes goûts esthétiques, que le mont Athos soit un refuge idéal pour ta lâcheté…

Après tout, pourquoi ne pas vivre ta vie absurde, accompagné de chants   byzantins, de belles icônes, dans une nature préservée, un climat agréable, parmi des architectures historiques d’une grande beauté et des hommes sans doute intelligents et d’une fine douceur ?… » Si j’étais le cynique que tu imagines, je te dirais : oui, pourquoi pas ? Est-ce être lâche que d’aimer la beauté, le calme, et la compagnie de ceux qui les apprécient ? N’est-ce pas toi, le fou ou le malade ? Continuer à vivre dans un monde que tu considères, tu me l’as dit, de plus en plus laid, lourd, invivable ? Qu’est-ce qui te fait courir ainsi ? T’épuiser non seulement dans le travail, mais aussi dans toutes sortes de rencontres ou relations que tu juges de plus en plus vaines ? Tu me disais un jour que la médiocrité te semblait insupportable et que pourtant « il fallait y consentir… Désirant ce qu’il n’a pas ou ayant ce qu’il désire, dans un cas comme dans l’autre, l’homme est malheureux… » Ne pense pas que j’ai vendu ma lucidité pour un peu d’« eau de vie » (ouzo) et quelques loukoums ? Avant d’arriver ici, j’ai pris le soin et le temps de me suicider… La « grâce » pour un athée fervent et dogmatique comme toi, ne pouvait prendre que des allures fatales… Mais, rassure-toi, rien ne m’est tombé sur la tête, c’est le corps simplement qui s’est écroulé ! De fatigue, de poisons… j’ai eu peur ! Comment ai-je eu peur, moi qui disais : « On ne peut pas avoir peur de “rien” »… puisque j’étais persuadé qu’il n’y avait rien, ni avant la mort ni après la mort. Mais ce « rien » n’était qu’une pensée, une représentation, sans ressemblance avec la réalité, celle à laquelle on n’y pense plus, mais où simplement on « est ». C’est la réalité qui nous intéresse, n’est-ce pas ? Alors allons-y : que reste-t-il quand il ne reste plus rien ? C’est difficile à dire, puisque justement il ne reste plus personne pour le dire. Et pourtant je dois t’avouer ce qui s’est passé, à ma grande surprise et bien indépendamment de ma volonté… J’ai déjà fait le récit de cette aventure, je ne vais rien y ajouter :