« Job again »
Quand on regarde la souffrance qui est dans le monde et si on est malade dans notre propre corps à la limite du supportable, on se pose évidemment la question : « Où est Dieu dans tout ça ? » ou, si on ne croit pas en Dieu : « Où est le sens dans tout ça ? » A part la mort y a-t-il une autre issue ?
Pour certains, il est clair que « Dieu n’y est pas ». Dieu est ce qui ne souffre pas ou ne se décompose pas, ne meurt pas. Il n’est pas l‘enfant arraché au sein de sa mère par des bombardements incessants ou par l’arme blanche du terroriste aveugle.
Il est le Bien absolu qui ignore tout mal, la lumière qui exclut toutes ténèbres.
Ce Dieu là, s’il est dans l’homme il est au delà de sa chair et de son humanité, un pur Esprit où peut prendre refuge son esprit tandis que sa chair continue à souffrir, tant qu’elle ne submerge pas encore par sa douleur son esprit. Il peut expérimenter, croire ou imaginer ce Dieu comme ultime et nécessaire issue.
Pour d’autres, dans cette souffrance absurde, dans ces maux, – ils sont légion – qui semblent régner sur le monde, Dieu est là, c’est le Dieu crucifié, l’Amour qui n’est pas aimé et qui aime jusqu’à la fin.
Je pense au Christ du retable d’Issenheim, couvert de pustules verdâtres ou au Christ mort d’Holbein qui faisait perdre la foi à Dostoïevski.
On ne peut pourtant observer ou penser de pires images de l’horreur, des représentations plus obscènes encore du meurtre des innocents. Dieu y est puisque la Vie y est. L’Existence déchirée est toujours là – même là – à la limite de ce qui va bientôt l’engouffrer « pour son salut » ou pour « l’arrêt de sa souffrance », diront certains.
Ces Christ purulents, j’ose les regarder en face, aujourd’hui, ces Job qui n’en finissent pas de gratter leurs ulcères ou de s’arracher la peau.
Dieu est là
Le Christ est là
« et, si nous sommes crucifiés avec lui, avec lui nous ressusciterons », mais n’est-ce pas là, paroles de croyants qui savent à l’avance qu’on va s’en sortir, que le Christ a vaincu le mal, la souffrance et la mort ? Il est ressuscité !, vaine et inacceptable consolation pour celui qui n’y croit pas.
Pourquoi la Vie, la Conscience, l’Amour nous abandonnent-ils ?
« Pourquoi m’as-tu abandonné ? » Ce cri n’est épargné à personne.
Quelque soit la suprême valeur ou l’amour infini en lequel on a mis sa confiance, qu’on y croit ou qu’on n’y croit pas, ce que nous révèle l’extrême douleur, la passion la plus sanglante, l’absurdité chronique et inévitable, c’est un espace, un silence, une lumière, un calme inattendu, inexplicable.
Dieu est là, Le Christ est là, toujours crucifié et déjà ressuscité, mort et encore vivant…, tandis que nos ulcères n’en finissent pas d’éclater, il y a là un triomphe de l’improbable, une paix que le monde ne peut pas donner. L’haleine que l’on expire a la saveur de nos plus tendres baisers. (L’image est affreusement et volontairement ridicule pour oser dire ce qui ne se dit pas)
Quand on a tellement mal, on ne peut plus se raconter d’histoires, on ne peut plus penser ni à Dieu, ni au diable, ni au mal, ni à la souffrance, ni à la mort ; cette suspension de la pensée est aussi suspension du temps.
Il n’y a plus conscience du malheur, il n’y a plus que Conscience : elle rayonne.
Les corps ulcérés ont le pressentiment d’une présence de gloire.
Jean-Yves Leloup, mars 2024

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