Interview :
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Journal : Sacrée Planète
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1- Jean-Yves Leloup, vous êtes connu pour avoir traité abondamment de l’énergie féminine en spiritualité et particulièrement dans la religion chrétienne. Vos nombreux ouvrages au sujet de Marie-Madeleine le démontrent. Dans votre ouvrage, Le Mont Athos … sur les chemins de l’Infini , vous parlez dans les détails de votre expérience au Mont Athos, connu pour son rejet de toute présence féminine … même chez les animaux. Comment comprendre votre démarche, n’y-a-t-il pas un paradoxe ?
J-Y. Leloup : Dans la tradition orthodoxe du Mont Athos, comme dans bien d’autres traditions, il existe différentes voies d’accès au divin. Des voies « naturelles » où la Rencontre de l’Amour absolu passe à travers la rencontre de l’Amour humain ; et des voies dites « abruptes » qui font « l’économie » de ce passage à travers l’humain relatif pour accéder, à travers certaines méthodes de transformations de l’énergie, « directement » à la Source absolue de tout amour… 2- Dans vos lettres à un ami athée, toujours dans votre témoignage sur le Mont Athos, vous vous définissez comme un « suiveur du Christ » Qu’est-ce que cela sous-entend pour vous car il faut bien l’avouer votre itinéraire est fort peu conformiste et parfois même déconcertant ? J-Y. L. : Le Christ, pour moi comme pour les pères de l’Eglise, est « l’Archétype de la Synthèse », Celui qui intègre en Lui le fini et l’infini, l’Eternel et le temps, l’Amour humain et l’Amour divin. Le « suivre » c’est entrer dans ce processus d’intégration, sortir de la dualité matière-esprit, ciel-terre, homme-Dieu, pour incarner la non dualité que lui-même a réalisée dans l’espace temps. 3- Au fil des années, on vous voit chez les catholiques, où vous affirmez avoir passé comme dominicain les quinze années les plus heureuses de votre vie, chez les orthodoxes et maintenant très indépendant au Brésil travaillant entre autres avec l’organisme Spiritours. Comme définiriez-vous votre but ? J-Y. L. : Oui, il s’agit de rester fidèle au but et de prendre les chemins qui nous y conduisent sachant qu’à un certain moment il n’y a plus de chemin. Chacun a son désert à traverser et là il faut écouter le vent et ne pas perdre la « Boussole » qui indique, quel que soit le lieu où nous sommes, le but… La boussole, c’est le cœur ; le but, c’est l’Amour. 4- En consultant la liste des livres que vous avez publiés, on est frappé par la persistance de‘’la notion d’amour‘’. J’aurais envie de dire Jean-Yves Leloup que vous êtes un grand amoureux de l’Amour. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur ce sujet ? J-Y. L. : Il ne suffit pas d’être « amoureux de l’Amour », ne faut-il pas se soucier aussi de l’Autre que l’on aime ? Je connais des personnes « amoureuses de l’amour » qui changent fréquemment « d’objets d’amour », l’important pour elles, ou pour eux, c’est de se « sentir » amoureux, de « se » sentir aimer, bref c’est de « se sentir », peut importe l’autre ! « Si je t’aime, est-ce que ça te regarde ? »… Je n’aimerais pas être cet amoureux là, Narcisse sublime sans doute, il ne rencontre jamais d’autre que lui-même, il est amoureux de sa sensation d’aimer ; n’est-ce pas encore de l’amour infantile ? nécessaire sans doute à une certaine étape de notre développement, mais ne peut-on pas aller plus loin ? Etre amoureux de l’amour, et être amoureux de l’autre qui ne se réduit jamais à soi ou à ce qu’on en connaît… ? 5- Dans votre ouvrage commun avec la psychiatre Catherine Bensaid, Qui aime quand je t’aime, vous avez établi une échelle de gradations des états amoureux. Je les cite ici rapidement pour nos lecteurs : 1. Porneia, amour appétit. 2. Pothos, amour besoin. 3. Mania pathè, amour passion. 4. Éros, amour érotique. 5. Philia, amour amitié. 6. Storgè, amour tendresse. 7. Harmonia, amour harmonie. 8. Eunoia, amour dévouement. 9. Charis, amour célébration. 10. Agapè, amour gratuit. J-Y. L. : Aimer quelqu’un, c’est renoncer à l’avoir, à en faire un objet que l’on pourrait posséder de différentes façons (intellectuelles, affectives ou sensorielles). 6- La sexualité est très présente dans votre œuvre littéraire. Ce qui est rare chez une personne qui a reçu la prêtrise. Pourquoi une telle persistance de ce thème qui a dû vous valoir quelques inimitiés ? J-Y. L. : La sexualité est très présente en tout être humain, la question c’est : est-elle habitée par l’agapè ? par cet Amour léger, gratuit, joyeux et inconditionnel dont nous venons de parler ? 7- Avez-vous la sensation, Jean-Yves Leloup, d’entretenir ou de nourrir l’image d’un Christ sexué et donc révolutionnaire et moderne ? J-Y. L. : « Tout ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé », « tout ce qui n’est pas accepté n’est pas transformé », disent les anciens . 8- Nous avons entendu parler d’un projet de village que vous mèneriez au Brésil. Cela s’inscrit-il dans la redéfinition d’une spiritualité telle que vous la souhaitez pour le vingt et unième siècle ? J-Y. L. : Il s’agit de la réunion de quelques personnes qui veulent vivre dans l’esprit des Thérapeutes d’Alexandrie , c’est-à-dire qui partagent une même anthropologie qui prend en considération l’être humain dans son entièreté : corps-psychisme-esprit, Dans notre façon d’imaginer Dieu ou l’Absolu, il s’agit d’utiliser notre cerveau d’une façon moins binaire, ou moins « dualiste ». Pourquoi imaginer Dieu seulement comme étant le plus grand, le Tout Puissant, le Très Haut, etc. ou comme étant seulement Bon, Bien, Vrai ? Que deviennent alors le mal, l’erreur, le mensonge, la faiblesse tout ce « refoulé », non seulement du Christianisme, mais aussi de toutes les religions instituées ? Ne faut-il pas imaginer un Dieu plus « entier », qui n’exclut rien de ce qui existe, un Dieu non dualiste qui n’est pas à notre image et à notre ressemblance, une image du fonctionnement binaire et agité de notre cerveau ? Jean-Yves Leloup, Carry, 17 janvier 2008 |