Christ et Antichrist
Voici que s’ajoute à la langue du politique le langage du religieux. Le patriarche Kirill parle de guerre légitime contre l’Antichrist dont le visage ou le masque hideux s’appelle « Occident ».
Sans entrer dans la littérature immense concernant l’Antichrist depuis le premier siècle de notre ère, il suffit de rappeler que si le Christ, c’est « celui qui aime et qui demeure en Dieu », car « Dieu est Amour /Agapé » (Cf. I Jn 4/7-8), l’Antichrist c’est « celui qui n’aime pas et qui demeure dans la mort. » (Cf. I Jn 3/14-15).
Pourquoi parler de paix, souhaiter la paix tout en cherchant à vaincre, à gagner la guerre ? Contre ce qu’on considère comme son ennemi, son Antichrist ?
Pourtant, tout le monde cherche la paix, mais personne ne veut arrêter de faire la guerre. Il faut vaincre d’abord !
Ce n’est pas la logique, la pratique du Christ (et normalement des chrétiens qu’ils soient protestants, catholiques romains ou orthodoxes). Il aime ses ennemis jusqu’au bout, Il leur pardonne, « ils ne savent pas ce qu’ils font ». Même mort et enterré, Il continue de les aimer. Vingt siècles plus tard, Il les aime encore !
Que peut-on contre une telle puissance ? Cette force invincible et vulnérable de l’humble amour !
Ce à quoi le Christ nous invite : « Que tous soient un ». C’est ce que la science la plus matérialiste nous démontre et la spiritualité la plus traditionnelle nous découvre : « tous sont un », tout est interrelié, intriqué. C’est le principe même de la non-séparativité.
Nos atomes ne cessent de s’interpénétrer, le zèbre, la pie, le pou, le russe, l’ukrainien, le juif, le palestinien, le rapace et la tourterelle, l’ortie et la rose, « tous sont un ». C’est le Réel un et infini qui se manifeste dans des formes multiples, évanescentes et contradictoires. Nos apparences sont diverses, l’espace silencieux à l’intérieur de toutes ces apparences est un et évident pour ceux qui prennent le temps, quelques instants, de fermer les yeux et d’apaiser leurs pensées.
Où est le Christ, où est l’Antichrist ?
Avant de le voir au-dehors, il semblerait juste de l’observer au-dedans.
Il y a en chacun de nous « quelqu’un qui aime », qui cherche à unir sans rien confondre, ni mélanger, quelqu’un qui pratique la vérité, qui voit l’unité dans le multiple, qui cherche l’union et respecte les différences…
Il y a aussi en chacun de nous « quelqu’un qui n’aime pas », qui manque d’amour ou ne veut pas aimer, qui envie, jalouse et cherche à s’approprier ou à détruire la terre ou le territoire. Quelqu’un qui veut séparer ce que le Réel ne cesse de distinguer et d’unir (car les frontières ne séparent pas les peuples qui s’allient).
L’Esprit du Christ c’est celui qui nous révèle, nous dévoile (apocalypsis) que nous sommes un avec tout et avec tous.
L’esprit de l’Antichrist, c’est celui qui s’oppose à la réalité une et infinie, celui qui cherche à détruire cette unité et s’enferme dans ses limites, ses peurs et son mépris. C’est lui « l’accusateur de nos frères », celui qui impose le monde de la haine, là où nous étions nés pour connaître le royaume de l’Amour/Agapé.
Des mots, encore des mots, dira-t-on ! Se battre avec des mots, c’est mieux sans doute que de se battre avec des armes, mais c’est toujours chercher à vaincre ou à avoir raison. C’est toujours faire de l’autre son ennemi. L’Antichrist n’est-ce pas ce désir de vaincre, d’être le plus fort ? Et le Christ, ce désir que l’autre soit lui-même et qu’il soit heureux…
Pourquoi se faire la guerre ? Il n’y a personne à vaincre si ce n’est celui qui veut vaincre et avoir toujours raison…
Jean-Yves Leloup, février 2024
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