Nouvelles Clés

Il y a quelques années, Jean-Yves Leloup marchait dans le désert du Sinaï. Vingt personnes l’accompagnaient, attentives avec lui au Souffle et à la Parole qui montent depuis plus de trente siècles de ce haut lieu de silence et de révélation.
Certains enseignements donnés par Jean-Yves Leloup furent notés, ce sont autant d’invitations « aux déserts ». Le pluriel indique ici non seulement la variété des paysages de l’Horeb mais aussi les « résonances » multiples qui peuvent exister entre les roches du Sinaï, le désert vécu des grands fondateurs, aimés ou haïs, de notre civilisation, et les sables mouvants de nos déserts intérieurs.
C’est aussi une invitation à voyager « autrement » où l’intelligence des lieux s’unit à l’intelligence du Livre pour provoquer l’intelligence du cœur.

Le désert d’Abraham
Avant Moïse et le Sinaï, il y eut Abraham, le premier à faire un pas hors de lui-même vers l’Inconnu, vers l’Autre qui l’appelait du plus loin de son silence. Alors, la terre prit des allures de chemin, et Abraham comprit que la vie est une longue marche dans le désert.
« Yhwh dit à Abrâm : va vers toi-même, quitte ton pays, ta parenté, la maison de ton père, va vers le lieu que je te montrerai. » (Genèse 12/1)
Aller dans le désert, c’est d’abord « partir vers soi-même ». C’est à cela que nous sommes invités. Pour se connaître véritablement soi-même, il s’agit de « quitter » un certain nombre de mémoires avec lesquelles nous confondons notre identité. Quitter le connu, le reconnu que nous croyons être, pour l’inconnu, le méconnu que nous sommes, Inutile ici de détailler les multiples attachements ou crispations, tous légitimes, à la maison, au père, à la mère, qui nous évitent le face à face avec notre néant. Philon d’Alexandrie dira que « quitter la maison de son père » c’est « quitter le langage », c’est-à-dire les références qui nous structurent. Lorsque la conscience n’a plus un mot, plus une image, plus un concept pour se dire, elle entre dans un espace infini que symbolise bien l’espace sans limite du désert.
Mais cette marche à travers le silence, vers l’infini et le sans limite de soi-même n’est pas démarche d’anéantissement; elle renoue avec ce que l’homme a d’Éternel, cet Éternel qu’il est lui-même et que lui voilent les occupations et les préoccupations du temps.
Pour Abraham, cet Éternel est un Autre, une Autreté qui le fonde. « Se connaître soi-même c’est se découvrir connu » dira plus tard l’Évangile de Thomas. Dans l’immensité et l’immobilité du désert, on sait qu’on ne se crée pas soi-même, on sait que le moindre de nos souffles vient d’ailleurs. Se connaître soi-même, c’est connaître le Vivant qui nous donne d’être ce que nous sommes et connaître que ce Vivant est toujours prêt à nous retirer, comme à nous offrir, le souffle de nos narines. Il y a des prétentions et des autosuffisances qui ne résistent pas à un vrai quart d’heure de méditation dans le désert.
Abraham et les patriarches aimaient s’asseoir à la tombée de la nuit, à même la terre nue, à même les étoiles, bénissant leur fatigue, souriant de leurs désirs dérisoires, il leur arrivait d’être là, terriblement là ! Au point de ne faire qu’un avec « celui qui est là, Présent » Ya-hou, Ô lui !
Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, Présence ardente et Silencieuse, Présence de l’Être, Présence de l’Autre, qui nous efface et qui nous fonde.

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