CHACUN A SON DÉSERT À TRAVERSER

Qu’évoque pour nous le mot désert ? Silence, vastitude, vent brûlant ? Mais aussi mirages, soif, scorpions… et la rencontre du plus simple de soi-même dans le regard étonné de l’homme ou de l’enfant jailli d’on ne sait où entre les dunes ? Il y a les déserts de pierre et de sables, du Hoggar, de l’Assekrem, du Ténéré, du Sinaï et d’ailleurs – le désert est toujours l’ailleurs, un ailleurs qui nous conduit au plus proche de nous-mêmes.

Il y a les déserts à la mode où l’on se retrouve en peuple bavard dans des espaces choisis où nous seront épargnées les brûlures du vent et les soifs radicales ; on en revient bronzé comme d’un séjour à la plage mais avec en plus des prétentions à la « grande expérience » qui ferait de nous pour toujours de « grands nomades »… Enfin il y a les déserts intérieurs ; c’est de ceux-là qu’il nous faut parler, sachant reconnaître ce qu’ils ont de douloureux et de torride, mais en essayant aussi d’y découvrir la Source cachée, l’oasis, la Présence inattendue qui nous accueille sous un palmier de sourires, autour d’un feu où la dans des « passants » se joint à celle des étoiles. Car le désert n’est pas un but, il est un lieu de passage, il est une traversée, chacun a sa terre promise, son attente à décevoir, son espérance à éclairer. Certains vivent cette expérience du désert dans leur corps ; que cela s’appelle vieillir, être malade, subir les conséquences d’un accident. Ce désert-là est parfois long à traverser. D’autres vivent le désert au cœur de leurs relations, désert du désir ou désert de l’amour, des sécheresses et des ennuis qu’on n’a pas appris à partager. Il y a aussi les déserts de l’intelligence, où le plus savant se heurte à l’incompréhensible, le plus conscient à l’impensable. Connaître le monde et ses matières, se connaître soi-même et ses mémoires ne va pas sans déserts à traverser. Il y a enfin les déserts de la foi, le crépuscule des idées et des idoles dont on avait fait des dieux ou un Dieu pour rassurer nos impuissances et opprimer nos plus vives questions. Chacun a son désert à traverser, il s’agira à chaque fois d’en démasquer les mirages mais aussi d’envisager ses miracles : l’instant, l’alliance, la docte ignorance et la féconde vacuité.

Éditions: Albin Michel, janvier 1996