Le festival « ll est une foi » explore les fins du monde cinématographiques. Invité, Jean-Yves Leloup relit L’Apocalypse, entre effondrement intérieur et supplément de conscience
Voir au- delà du mental «Ce livre pourrait avoir été écrit en prison par l’un des trois de Briançon, arrêtés pour délit de solidarité.» Ce livre, c’est L’Apocalypse. Jean-Yves Leloup rapporte ce texte biblique à clés à tous les bouleversements personnels, familiaux, professionnels et aux révélations potentielles qu’ils impliquent. Le philosophe et prêtre orthodoxe était invité mardi à Genève par l’Eglise catholique romaine (ECR), avant le lancement du festival «Il est une foi». A quelques centaines de mètres de là débutait une manifestation de soutien à Théo, Bastien et Eleonora, emprisonnés à Marseille pour avoir aidé des migrants à passer la frontière entre l’Italie et la France.
«La révélation
n’est pas
réservée aux chrétiens »
L’effondrement des illusions
«Ils ont cru en une fraternité et se retrouvent en prison, réagit à chaud Jean-Yves Leloup. Ce genre d’expérience peut amener un effondrement de nos illusions et de nos représentations, comme ce fut le cas de l’auteur de L’Apocalypse. Parfois, ces « apocalypses » sont l’occasion de voir que la vie est davantage que l’on croyait.» Pour le croyant, précise le théologien, ce supplément a un visage divin, mais « la révélation n’est pas réservée aux chrétiens.»
Son postulat est que, sous le voile des évènements — personnels ou collectifs —, il y a du sens. Et qu’«il n’est donc jamais idiot d’aimer». En 2017, Jean-Yves Leloup a publié un ouvrage sur l’Apocalypse, basé sur une retraduction. Ces textes ont été écrits au 1″ siècle par un certain Jean (qui n’est pas l’évangéliste), qui dénonçait le culte impérial développé par l’empereur Domitien, la dimension totalitaire de cet empire et sa civilisation fondée sur l’idolâtrie. «Ils racontent comment quelqu’un qui est dans le désespoir ne s’y laisse pas enfermer.»
Films et débats
Le discours de Jean-Yves Leloup tranche avec le ton de certaines prédications, dont il déplore la capacité à «ajouter de l’angoisse à l’angoisse» et le potentiel de «menace». Il s’écarte aussi du sens qu’a pris la notion d’apocalypse au fil du temps. Fin du monde, catastrophes collectives, lutte planétaire entre le bien et le mal : nombre de films présentés dans le cadre du quatrième festival «Il est une foi» puisent dans cet arsenal hautement cinématographique. L’objectif de l’ECR, à la base de ces rencontres, est lui aussi de thématiser la prise de conscience face aux catastrophes, une démarche nourrie par les débats qui accompagnent plusieurs films, tels les derniers jours du monde des frères Larrieu (vendredi), Soleil vert de Richard Fleischer (samedi) ou Le Septième sceau d’Ingmar Bergman, dont le philosophe Philippe Sers dévoilera dimanche les clés.
Mystique et action
La catastrophe est-elle une condition nécessaire à la prise de conscience ? «Non. Mais il est vrai que dans de tels moments, le mental s’efface. Ce qui permet de revenir dans ce lieu de nous-mêmes qui est au-delà du mental. Et donc de voir au-delà des constructions identitaires, idéologiques, politiques.» Comme le précise le prêtre orthodoxe, les religions orientales sont moins «dramatiques», et l’accès à la révélation passe volontiers, par exemple, par la méditation. Mais quel que soit l’accès, ces formes de connaissance ne se suffisent pas à elles-mêmes : pour Jean-Yves Leloup, mystique et action sont comme les «deux joues d’un même visage». Un principe à appliquer à une question brûlante, celle de l’accueil des migrants, qui vient de se reposer à la frontière française ? «Justement, cette question ne doit pas être abordée de façon seulement mentale, mais dans la rencontre avec l’autre. Or, ceux qui décident pour les migrants ne sont pas ceux qui les côtoient.»
Programme sur wvvw.ecr-ge.ch
Jean-Yves Leloup, L’Apocalypse de
Jean, Albin Michel, 2017.
DOMINIQUE HARTMANN
revue : LE COURRIER, Genève
RELIGIONS, WEEK-END
VENDREDI 4 MAI 2018