Trouver sa voie spirituelle n°57
Dossier : Les grandes traditions
RENCONTRE
Jean-Yves Leloup
« Une voie spirituelle chrétienne
ne peut être évidemment que le Christ »
rêtre orthodoxe et théologien, Jean-Yves Leloup est l’auteur de nombreux ouvrages et de conférences qui approfondissent les textes sacrés. Il nous aborde ici la question de la spiritualité chrétienne au quotidien.
Aujourd’hui, il y a un hiatus entre les besoins spirituels des gens et la réponse des religions à ces besoins.
Comment expliquez-vous cela ?
Les religions donnent des réponses plus au moins satisfaisantes à nos questions ; Dieu y est considéré comme la grande réponse. La spiritualité, elle, pose plutôt des questions ;
Dieu est alors la grande question, c’est l’Ouvert qui remet en question nos petites réponses, scientifiques, sociologiques, psychologiques, philosophiques et religieuses…
Une spiritualité authentique suppose de vraies questions qui ne se laissent pas étouffer par des fausses certitudes ou des pseudo-réponses, par exemple : qui suis-je ? Ou qu’est-ce qui est vraiment réel ? Qui prétend répondre à ces questions ? Le hiatus est entre ceux qui se satisfont d’un discours, et ceux qui ne désespèrent pas de vivre l’expérience.
Y-a-t-il selon vous une voie spirituelle chrétienne ?
Comment la définiriez-vous ?
Une voie spirituelle chrétienne ne peut être évidemment que le Christ, qui correspond à l’Étre (« Je suis ››), qui est au fond de chacun de nous – cet archétype qui tient ensemble le temps et l’éternel, l’infini et le fini, le charnel et le spirituel, l’humain et le divin. La voie spirituelle chrétienne c’est « laisser être en nous ›› « celui qui est le chemin, la vérité, la vie ››, c’est demeurer « en marche ››, vivre dans la clarté et l’amour, être vivant dans toutes les dimensions de notre être.
Qu’est-ce que l’approfondissement des textes sacrés peut apporter dans la spiritualité au quotidien ?
Les textes sacrés nous mettent en contact avec l’Intelligence et l’Imagination créatrices.
Notre vie quotidienne en est éclairée. Apprendre à voir les choses et les événements comme Dieu les voit, c’est-à-dire comme la Conscience, l’Amour et la Vie les contemplent. C’est à cela que nous invite la philocalie (« amour de la beauté ›› en grec) : faire un pas au-delà de la science (qui observe et analyse) et de la philosophie (qui interroge et interprète), demeurer dans l’Ouvert pour célébrer et bénir tout ce que l’on rencontre.
Chaque voie spirituelle s’accompagne généralement d’une pratique corporelle. Vous insistez particulièrement sur la prière du cœur de Yeshoua. En quoi consiste cette dernière ?
La pratique essentielle, proposée par Yeshoua dans l’Évangile, est celle de l’amour de Dieu et du prochain, et cela concerne aussi bien le corps dans ses gestes, ses rythmes et ses actes, que le coeur dans ses émotions et ses sentiments, que l’intelligence dans son écoute, ses interprétations et sa contemplation.
L’hésychasme, ou la prière du coeur, est une pratique issue de l’enseignement de Yeshoua à la Samaritaine : se relier à la Source de tout ce qui vit et respire « dans le souffle et la vigilance ›› plutôt qu’« en esprit et vérité ››, qui réduirait la pratique proposée à une forme d’oraison mentale, alors qu’il s’agit bien d’un art de l’attention, de tout notre corps, de tout notre souffle, de tout notre esprit, vers la Source de tout ce qui vit et respire. « Priez c’est respirer ››, me disait un moine du mont Athos. La finalité, c’est l’union de notre souffle au grand Souffle de la Vie, l’ouverture de notre cœur à l’Amour inconditionnel.
Vous militez pour une ouverture aux autres spiritualités comme le bouddhisme, l’hindouisme, le judaïsme et l’islam.
En quoi celle-ci est-elle fondamentale pour la spiritualité d’aujourd’hui ?
Il ne s’agit pas pour moi de militer mais de partager une évidence ; au fond de chacun de nos puits (de chacune de nos traditions), c’est le même fleuve d’eau vive qui s’écoule.
Ni syncrétisme, ni sectarisme, l’enracinement et l’ouverture restent depuis plus de 40 ans ma ligne de conduite. Sans enracinement dans une tradition particulière, notre ouverture peut se diluer en toutes sortes de mélanges, qui n’ont rien à voir avec un chemin d’alliance, de respect et d’union véritable avec l’autre. Sans ouverture, notre enracinement dans une tradition particulière, peut devenir sectaire, peur et enfermement dans des réflexes identitaires. Il se prive des profondeurs de la vérité qui se nourrit d’un dialogue rigoureux et exigeant avec le « différent ››, « l’autre réalité ››, qui ne brise pas l’unicité du Réel.
L’écrivain Olivier Germain-Thomas a dit de vous qu’il est « impossible de vous classer selon les catégories anciennes ›› et « que vous symbolisez la spiritualité de demain ». Qu’entend-il par là ?
Comment pourrais-je être classé selon les catégories anciennes ou symboliser la spiritualité de demain, la spiritualité telle que je la vis n’appartient ni au passé ni à l’avenir, c’est une ouverture au coeur de l’espace et du temps, à ce qui n’appartient ni à l’espace, ni au temps, ni à tout ce qui peut être saisi par le mental. Au cœur de l’instant c’est l’ouverture de tout homme à l’Éternel, sa participation non limitée, non temporelle, au Réel infini, « Je suis ››.
Pour Jean-YVes Leloup la voie spirituelle chrétienne, c’est être vivant dans toutes les dimensions de notre être.
Propos recueillis par Audrey Fella