Lettre IV
Mon cher T.,
Ta question maintenant ce n’est plus qu’est-ce que le Réel ?, mais comment y avoir accès ? Par quelles transformations l’être humain peut-il y avoir accès ? Y a-t-il un chemin, une méthode, une pratique ?
On le pressent : le Réel est sans accès puisque nous le sommes.
Comment le moi trouverait-il un chemin vers le moi, si ce n’est en se dédoublant, c’est-à-dire, en s’éloignant de lui-même.
Chercher les moyens d’accès au Réel c’est s’en éloigner, si ce n’est le perdre.
Ce que nous cherchons nous le sommes, il n’est trouvé que lorsque nous cessons de le chercher.
Bouddha se découvre éveillé au moment même où il ne cherche plus l’Eveil – quel est ce moment où on ne cherche plus l’Eveil ? Où on ne cherche plus le Réel ? Le moment où le mental est silencieux, où le cœur est silencieux, où le corps est silencieux, le moment où tout non être « est là, ainsi », sans une pensée, sans un désir, sans une tension…
« Connais-toi toi-même »
N’est-ce pas là l’antique erreur ?
Entretenue par des siècles de philosophies, de spiritualités et d’inutiles introspections, faire un objet, de soi, ou un sujet, objet de soi, n’est-ce pas la schyze première ?
« Moi » cherche « moi » ; petit moi cherche grand moi ; moi cherche Soi en moi (atman cherche Brahman) ou moi cherche Dieu en moi.
C’est toujours la même quête illusoire : moi (et Soi, et Dieu) ne se trouve que lorsqu’on cesse de le chercher, puisque moi est moi (moi est Soi – atman est Brahman), le réel est le Réel, et les transformations évidentes, que l’histoire (et l’histoire des philosophies et l’histoire des religions) opèrent sur lui, cela ne change rien puisque moi et mon histoire, sont moi ; le réel et son histoire sont le Réel.
Que faire alors ? Si je n’ai plus à me connaître moi-même ? Si je n’ai plus à interroger et à penser les réalités où ce qui « est » pour connaître le Réel ?
Penser autrement sans doute, non pour chercher à saisir (objectiver) le Réel, mais pour simplement le célébrer, acquiescer à ce qu’il était, à ce qu’il est; à ce qu’il sera…
Ce n’est pas destruction de la pensée, mais « désobstruction » de celle-ci afin qu’elle demeure dans l’Ecoute, dans l’ouvert, non seulement conscience « de » ce qui est, mais conscience d’être « ce » qui est…
Voir ce qui est, voir ce qui regarde ce qui est, être ce qui est.
Entre ce qui est vu et ce qui voit : la conscience même… Le Réel inséparable et différencié de l’objet et du sujet qu’il traverse et qu’il contient.
L’Amant, l’Aimée, l’Amour.
Le sujet de la conscience, l’objet de la conscience, la conscience.
Le regard, ce qui est vu, la vision.
La réalité subjective, la réalité objective, la réalité « entre » les deux qui rend les deux possibles…
Le Créateur, la Création, la Créativité…
Toujours et partout les Trois sont Un, le Réel est Trois et Un. Au-delà des nombres et du « nombrable » il est Uni-Trinité.
« O on, o en, o erkomenos… »