Lettre II
Mon cher T.,
Tu me demandes de « préciser encore quelles sont mes présupposés anthropologiques ou mes « a priori » concernant l’Être humain… » Comme je te le disais précédemment, je crois qu’il y a du Réel infini, invisible, éternel, bienheureux… dans les réalités finies, visibles, temporelles, douloureuses que nous connaissons. Je crois qu’il y a du Réel invincible dans l’être humain fragile et impermanent comme l’univers qui l’entoure.
La guérison est dans leur rétablissement de la relation avec le Réel, dans la conscience que nous ne pouvons pas être séparés de « ce qui est partout et toujours présent », condition même de notre « présence réelle » dans le monde.
Le Réel « nul ne l’a jamais vu », mais les réalités qui le manifestent, l’incarnent ou le représentent, le font connaître…
Le Réel est la lumière qui éclaire toutes réalités de la plus opaque à la plus transparente, cette lumière est Conscience qui répond à notre conscience et la rend possible. La lumière est dans la matière, la matière ne peut ni la retenir ni la contenir.
Le Réel est la Vie qui anime toutes réalités de la plus inerte à la plus vivace ou vivifiante, cette Vie est mouvement, devenir…
Elle est une Energie, une « Force qui va », quand nous ne faisons qu’un avec elle, nous disons que « Tout « va » bien au mieux… »
Le Réel est l’Amour qui anime la vie la plus riche et la plus misérable, cet Amour est capacité de Don, de générosité, de compassion, il est le mouvement même de la vie qui se donne et qui pardonne…
Quand nous ne faisons qu’un avec la réalité de l’Amour, nous sommes délivrés de toute amertume, la joie est une expérience, nous connaissons la Vie Bienheureuse…
Le Réel est la liberté de l’Espace qui n’est pas atteint ou souillé par ce qui s’y agite ou s’y passe. C’est une lumière, une vie, un amour, qui ne juge ni ne s’attache à ce qui va. Ne faire qu’un avec cette liberté c’est vivre dans un infini respect pour tout ce qui vit et respire, c’est la vision ou l’intuition du Réel partout et toujours présent qui nous rend non dépendant des réalités transitoires que nous pouvons alors apprécier et aimer dans leur juste mesure.
Le Réel est notre vraie nature, il est Lumière (Esprit – Conscience), Amour (Joie – Béatitude), Vie (Force – Energie), Liberté (Espace – Vastitude).
Si on ressent un « manque de réalité » ce que nous considérons comme « pathologie », il s’agit soit d’un manque de conscience (confusion – obscurité), d’un manque d’amour (tristesse – fermeture), d’un manque de force (faiblesse – fatigue) ou d’un manque de liberté (aliénation – dépendance)…
Ce manque, on pense le combler avec des réalités extérieures, ce qui peut assez vite conduire à des impasses, nous pouvons connaître quelques satisfactions ou rassasiements fugaces, le manque n’en est que davantage creusé, énervé…
Si l’on ressent un manque de réalité (Conscience – Amour – Vie – Liberté) c’est que quelque chose empêche notre vraie nature de s’exprimer ou de se donner. Ce sont ces barrages, blocages, obstacles (Shatan en hébreu) que le Thérapeute prend en considération, le travail « d’analyse » littéralement et étymologiquement veut dire « dissoudre » (lyse) vers le haut (ana), défaire, dénouer, dissoudre, les nœuds, les blocages qui empêchent le Réel de se donner ou qui empêchent la conscience, l’Amour, la Vie, la Liberté… de « circuler » et d’aller « de mieux en mieux » dans un corps « délivré » de ce qu’il n’est pas ; « livré » (ouvert – offert) à l’Être qu’Il est, heureusement.
Tu me demandes comment je peux affirmer que le Réel est la vraie nature de l’être humain et que des réalités comme la Conscience – l’Amour – la Vie – la Liberté, sont plus réelles que des réalités comme l’absurde – la haine – la peur – la mort…
Oui, il s’agit bien de mon présupposé anthropologique de mon a-priori – mais aussi de mon expérience.
Lorsque je suis conscient : « Je Suis ».
Lorsque je suis de plus en plus conscient, je suis davantage une présence réelle consciente.
Lorsque je ne suis pas conscient : « Je ne suis pas ».
Lorsque je suis dans la compassion (ouvert à l’altérité) et dans l’amour : « Je Suis ».
Plus je suis dans la compassion et dans l’amour, plus « Je Suis » – présence réelle, affirmation de la réalité de l’amour.
Lorsque je ne suis pas dans la compassion et l’amour, « je ne suis pas » en relation réelle avec ce qui est, je ne suis pas « présent » réellement.
Lorsque je suis vivant, plein d’énergie, je suis conscient de ce que je suis, j’aime ce que je suis : « Je Suis ».
Lorsque je suis fatigué, déprimé, malade, je ne suis pas bien, mais « Je Suis » quand même « Je Suis » dans un corps, un psychisme, qui souffrent…
Ce n’est pas « Je Suis » qui va mourir, mais la forme où il se manifeste, s’incarne…
J’ai mal à la vie que j’ai, encore pour un peu de temps, bientôt je ne l’aurai plus. Demeure « la vie que je suis », « Je Suis » est libre…
Ce sont là des évidences parfois difficiles à partager, difficiles aussi de comprendre ce qui en nous et dans l’autre y résiste.
La fonction du Thérapeute n’est-elle pas pourtant, en témoignant de son expérience du Réel, de recentrer l’autre dans « l’identité qu’il est » et de le rendre libre des « identifications qu’il a » ?
N’est-ce pas le rendre présent à sa « présence réelle », le remettre dans son axe ?