Article : Le corps ami ou Acquis ?
La vie utilise notre corps pour se manifester, pour s’expérimenter.
La confusion est assez générale lorsqu’il s’agit de relier le corps humain à la spiritualité… Les derniers millénaires ont inculqué à l’0ccident que « la chair ›› était le domaine de tous les égarements. Pourtant, nous dira Jean-Yves Leloup, ce n’est pas ce que les premiers chrétiens ont cherché à transmettre. En réalité, l’idée persistante selon laquelle il fallait opposer le corps à l’esprit datait de bien avant le christianisme. Elle a tout simplement continué de faire ses ravages par la suite.
C’est justement pour retourner aux origines de l’enseignement chrétien que Jean-Yves Leloup a pris la décision un jour de devenir prêtre dans la tradition orthodoxe.
Avec ses doctorats en philosophie, en psychologie et en théologie; avec ses connaissances des langues anciennes et son vif intérêt pour les religions du monde; et surtout, avec son expérience et ses épreuves personnelles, son enseignement s’avère d’une richesse incomparable. Avec lui, ceux qui entretiennent une petite bête noire envers le catholicisme trouvent un apaisement, car ce qui pouvait paraître incohérent ou injuste trouve enfin son sens et sa juste place.
C’est toujours une joie et un honneur de retrouver un érudit de la trempe de Jean-Yves Leloup. Encore une fois, en toute simplicité et en toute profondeur, cet auteur d’une cinquantaine d’ouvrages vendus à travers le monde nous a patiemment offert ses perles de sagesse. Et encore une fois, en retranscrivant ses propos, je me rends compte combien chacune de ses phrases est un enseignement en soi. Un entretien à lire bien lentement, comme une méditation, comme un voyage au fond de l’âme.
LE DON DE LA VIE
Le thème de votre dernière conférence au Québec était « Le corps comme don, grâce et épreuve. ›› Commençons par la première notion : le corps comme don. Cela me semble assez simple à accepter comparativement aux deux autres.
Est-ce une évidence, selon vous, que de considérer notre corps comme un don?
C’est la Vie qui est un don. La vie nous est donnée. On la reçoit.
Quand on parle du Tao, on se réfère au mouvement de la vie, la vie qui se donne dans un corps. Le corps est la partie visible de la vie, dans le temps et l’espace que je vis; c’est l’invisible qui devient visible. Nous avons le choix de nous ouvrir ou de nous fermer au don de la vie; nous avons le choix de la recevoir comme un don ou comme une fatalité.
En fait, comme on ne peut pas voir la vie, c’est-à-dire la partie visible de la vie, le corps en est la matière : le corps de l’homme, de la femme, de l’animal, des plantes, de l’univers, de la Terre… La vie développe la conscience d’elle-même à travers l’être humain, à travers son corps. La vie utilise notre corps pour se manifester, pour s’expérimenter. Elle est parfois douloureuse, elle est parfois épreuve, elle est parfois grâce. Quand la vie est épreuve, il est important de ne pas s’identifier à l’épreuve, de ne pas en être l’objet, mais d’en devenir le disciple. L’épreuve est un lieu de passage, un lieu de transformation. Bien vécue, elle devient une grâce.
Quand on dit Je crois, on pourrait aussi entendre Je croîs… Croire ce n’est pas seulement une question de croyances, mais de croissance. Nous sommes appelés à croître, à travers les épreuves, les expériences
Il me semble que le christianisme nous a influencés dans le sens de la fatalité du corps. Des tas de gens ont voulu se tourner vers le ciel, avec une négation complète du corps.
D’où vient ce paradoxe ?
Le christianisme a été influencé par la philosophie grecque. Même avant les Grecs, le zoroastrisme nous poussait au dualisme, c’est-à-dire que la matière était considérée comme une création du dieu du mal, tandis que la pensée, la lumière étaient les créations du bien. Il y avait un combat entre les deux. Depuis des millénaires, on passe sans cesse de l’idolâtrie au mépris de la matière. Or, ce qui est important c’est de retrouver le sens du respect. Le respect n’est ni l’idolâtrie, ni le mépris. On n’a pas à adorer un arbre ou une étoile mais on a à y reconnaître la présence du divin. Mépriser un brin d’herbe, c’est mépriser Dieu.
C’est dommage que le christianisme nous ait conduits là. Pourtant, le christianisme est la religion de l’incarnation. Il nous dit que Dieu est présent dans le corps de l’être humain; que le corps n’est pas le tombeau de l’âme, mais bien le temple de l’esprit, ce lieu où la vie peut s’exprimer.
MATIÈRE ET LUMIÈRE
Dans la tradition spirituelle que vous avez choisie – l’Église orthodoxe – comment considère-t-on le corps?
Le grand refrain qui revient chez les Anciens, c’est : « Dieu s’est fait homme ››. La Conscience a pris corps pour que l’homme devienne Dieu, pour que le corps devienne Conscience. La lumière s’est fait matière, pour que la matière devienne lumière.
D’ailleurs, la science le dit aujourd’hui : la matière et la lumière ne sont pas séparées, puisque la matière, c’est la vitesse la plus lente de la lumière. La grande tradition des premiers chrétiens nous invite à reconnaître la lumière dans la matière et à replacer la matière dans la lumière. C’est ce qu’on appelle la transfiguration, la métamorphosis. Voilà comment les disciples ont vu Jésus dans son corps humain. Ils ont vu la lumière dans son corps. Pour nous aussi, il s’agit donc de prendre conscience de la lumière qui habite notre corps, de la lumière qu’est le corps lui-même.
Notre corps est la part de l’univers qui nous est confiée…
Cela me fait penser aux auréoles dans les représentations des saints. Était-ce de cette lumière dont il s’agissait?
Exactement. C’est ce qu’on appelle la mandorle. La mandorle signifie que le corps humain de l’homme, de la femme et même des animaux est la nature et le lieu du rayonnement de la divinité.
Ce qui est intéressant, c’est qu’à l’origine les mandorles étaient tout autour du corps. Plus tard, on les a réduites autour de la tête. Dès lors, on s’est mis à affirmer que la divinité était dans la tête, dans l’esprit, dans la pensée. Puis à partir du 16e siècle, la mandorle est devenue une espèce de petite soucoupe volante au-dessus de la tête! (Rires) Ces changements sont très importants sur le plan théologique. Ils signifiaient tout à coup que la Grâce n’était plus dans la nature, mais séparée de la nature; alors qu’à l’origine, la grâce s’est fait connaître dans la nature et surtout dans son entier : le corps, les pieds, le sexe, les poumons, etc.
Ce n’est pas en écrasant la chenille qu’on l’aide à devenir un papillon.
Si on « écrase ›› notre corps, on écrase la lumière qui l’habite, l’esprit qui l’habite.
Dans votre pratique, qu’est-ce qui permet de réaliser l’intégration du corps et de la grâce?
C’est la prière du cœur et la prière du souffle. Notre souffle est important parce qu’il appartient à la fois à la matière et à l’esprit.
Le fait d’être conscient du souffle nous met en contact avec la vie, avec la lumière, avec la source de la vie qui est en nous. Il y a aussi l’invocation du nom dans le souffle, comme Yechoua par exemple (Jésus en hébreu). Là, on est relié à la source de la vie.
Notre corps est relié et notre vie ne tient qu’à un souffle ou à un fil. C’est ce fil qu’il s’agit d’entretenir et de fortifier. Voilà le rôle de la prière, de la méditation, de l’invocation.
UNE EXPÉRIENCE DE MORT CLINIQUE
Dans votre livre L’absurde et la grâce, vous racontez combien l’absurdité de l’existence vous torturait intérieurement durant votre jeunesse. Vous avez emprunté un sacré parcours avant d’être heureux sur Terre.
Il y a eu tout un chemin où je souffrais de ce qu’on appelle la « démangeaison des ailes ››. On a parfois l’impression d’être à l’étroit dans le corps. On croit qu’il faut en sortir pour connaître le Ciel. C’est une erreur. Ce n’est pas en écrasant la chenille qu’on l’aide à devenir un papillon. Si on « écrase ›› notre corps, on écrase la lumière qui l’habite, l’esprit qui l’habite. Il s’agit de permettre à la chenille que nous sommes, à la forme que nous sommes, de s’ouvrir à la lumière. Il ne s’agit donc pas de tuer ou de détruire l’ego. Il s’agit de l’ouvrir.
Y a-t-il eu des expériences particulières vous obligeant à voir cela?
Oui, il y a eu cette expérience de mort clinique durant laquelle je me suis rendu compte que la vie, le vivant, le je suis, est libre et non prisonnier du corps. C’est la raison pour laquelle les bouddhistes parlent de ce précieux corps. Il est fragile, il est vulnérable, il est impermanent, mais c’est le seul temple que nous ayons pour louer et bénir la vie.
Ni IDOLÂTRIE, Ni MÉPRIS
Certaines personnes sont loin d’aimer leur corps tout comme il y en a d’autres qui l’aiment trop, non ?
Oui, on revient à ce que l’on disait tout à l’heure, soit de l’idolâtrie, soit du mépris. Il s’agit de ne pas mépriser notre corps, ni de l’idolâtrer. Ce sont deux impasses du monde contemporain.
Dans certains milieux, on bichonne le corps comme si c’était la seule réalité. Pour ces gens, leur corps représente tout, c’est l’absolu, c’est ce que je nomme de l’idolâtrie. Ainsi, au moment où ces gens meurent, ils perdent tout. Pourtant, ce corps n’a pas toujours été là. Il ne sera pas toujours là. La vie était là avant nous et elle sera là après nous. On ne doit pas s’identifier à notre corps. On ne doit ni l’idolâtrer, ni le mépriser, mais en avoir un infini respect.
On peut se questionner : « Est-ce que je m’identifie à la forme que prend la vie en moi? Ou est-ce que je m’identifie à la vie qui est au cœur de cette forme sans la mépriser? ›› La forme – le corps – nous est donnée pour éprouver, pour expérimenter.
On parlait tout à l’heure du mot épreuve. Je crois qu’il ne faut pas le prendre simplement dans le sens négatif du terme. Le mot épreuve parle d’expérience. Si on n’avait pas de corps, on ne pourrait pas éprouver l’amour, on ne pourrait pas en faire une expérience. La vie est donc une expérience corporelle et nous devons apprendre à l’accueillir plutôt que de la subir; arrêter d’en être la victime, pour en devenir le disciple. Quand on dit .Je crois, on pourrait aussi entendre Je croîs… Croire ce n’est pas seulement une question de croyances, mais de croissance.
Nous sommes appelés à croître, à grandir dans notre corps, à travers les épreuves, les expériences. Mais il faut savoir que notre corps est composé de plusieurs corps.
LES 12 CLIMATS CORPORELS
Voulez-vous parler des émotions, par exemple ? On les ressent dans le corps et, en même temps elles ne sont pas matérielles.
Entre autres. La vie a douze façons de s’incarner, de se manifester en chacun de nous. Je distingue douze corps comme il y a douze constellations, douze disciples, douze mois de l’année…
On pourrait aussi les décrire comme étant les douze « climats corporels ›› que la vie expérimente en nous.
Premièrement, il y a le corps de mémoires, le code génétique, celui que l’on reçoit à la naissance. Il y a là toute l’histoire de nos parents, de nos grands-parents. Nous sommes habités par toutes les mémoires de notre famille, de nos ancêtres.
Nous en sommes les héritiers. Comment être en paix avec nos parents, avec nos ancêtres? La réconciliation est importante, car c’est dans notre sang, dans notre corps. On ne peut dilapider notre héritage, on doit l’accueillir, sans le juger, car tout ce qui n’est pas accepté ne peut pas être transformé; tout ce qui n’est pas assumé ne peut pas être sauvé. Donc pour faire de notre héritage une grâce, ça passe par ce « oui ›› à ce que la vie nous a donné à notre naissance. On doit cependant être conscient que si j’appartiens à cette lignée, je ne suis pas cette lignée. Je ne dois pas en faire mon identité, mais l’accueillir sans la juger. Je ne suis pas que ça, je suis plus que ça, je suis qui je suis.
Quand on rencontre quelqu’un, on ne rencontre pas seulement cette personne, mais aussi sa tribu, sa lignée. Deux personnes peuvent bien s’aimer, mais ce sont parfois leurs histoires qui ne s’aiment pas. Parfois, ça fait beaucoup de monde dans la chambre à coucher. On aurait envie de dire « Pouvez-vous sortir? ›› (Rires) Les mémoires du cosmos sont aussi inscrites en nous, puisque nous faisons partie de l’univers. Notre corps est la part de l’univers qui nous est confiée. Prendre soin de notre corps, c’est prendre soin de l’univers. Si on remonte encore plus profondément, il y a en nous la mémoire de la Source, de l’origine; il y a la mémoire du big-bang et de la Conscience.
Ensuite, il y a notre corps d’appétits. La vie s’incarne en nous sous la forme d’un appétit de vivre, d’une faim et d’une soif.
C’est important de respecter la nourriture, de voir ce qui nourrit notre faim, ce qui nourrit notre soif. Pour certains, c’est une véritable difficulté, un dégoût; le dégoût de la vie, de la nourriture, comme dans certaines formes d’anorexie ou de boulimie. C’est une épreuve. Comment accepter cette épreuve, comment la transformer, comment en faire une grâce?
Que l’on parle de la relation que l’on entretient avec la nourriture ou encore de celle que l’on entretient avec les autres, on doit apprendre à passer de « consommer ›› à « communier ››. La vie doit être communion et non consommation. Aujourd’hui on ne communie plus avec les êtres, on les consomme, on s’y consume. Au-delà de la consommation, on doit réapprendre à communier. Communier à la nourriture, savoir que la vie nous est donnée par la nourriture, l’honorer, la respecter, voilà ce qui a du sens.
Notre alimentation peut devenir quelque chose de sacré. ll suffit d’y mettre de la conscience, d’y mettre de l’amour.
La vie se manifeste donc à travers la mémoire de nos ancêtres, à travers nos appétits, et elle se manifeste aussi à travers notre libido. C’est notre corps de pulsions. La vie s’incarne en nous à travers un corps sexué et c’est ainsi que la vie se transmet à travers la sexualité, c’est un don de la vie par lequel nous devenons nous-mêmes créateurs, nous transmettons la vie.
L’autre fait partie du don. Comment sommes-nous par rapport à l’autre? Sommes-nous capables de communier ou nous limitons-nous à consommer, jusqu’à nous y consumer? Chacun à des pulsions différentes. Certains ont une vie libidinale pulsionnelle très forte et ils s’entendent très bien à ce niveau; c’est ce qui les soude. Mais savent-ils communier? Ou ne font-ils que consommer? Communiée, la sexualité devient une grâce, la chambre devient un temple.
La vie se manifeste aussi en nous à travers nos émotions. Il y a en nous toutes sortes de climats, des climats de tristesse ou encore de joie. Il s’agit ici de savoir rire et pleurer ensemble, savoir comment accorder nos émotions; savoir qu’on a le droit d’être triste pendant que l’autre ne l’est pas. On doit apprendre à mettre du calme dans nos émotions, à trouver notre assise. On ne doit pas devenir l’objet de nos émotions, on doit simplement les accueillir, en être le sujet le Je suis. Cela donne de la couleur à notre existence on peut goûter notre existence à travers ces différentes couleurs ces différentes saveurs. Ça devient une grâce. On n’a pas à renoncer à nos émotions tout comme on n a pas à renoncer à notre sexualité. Tout est à transfigurer, à vivre autrement. On peut aussi reconnaître le corps d’émotions dans la nature elle-même. La nature a des émotions.
Vous voulez parler des animaux?
Si. Mais les fleurs aussi peuvent être tristes. Je crois qu’il existe une intelligence des plantes, que les plantes reçoivent ou absorbent les choses. Je pense à ce petit garçon qui disait « J’ai mal aux arbres. ›› Je pensais qu’il avait des parents un petit peu écolos, mais non! C’est comme si ce garçon sentait que la nature souffre de notre comportement à certains moments.
Puis, viennent le corps de paroles et le corps de pensées. Dans une relation, il y a parfois trop de paroles, parfois pas assez. Parfois on n’a pas les mots pour dire notre plus grande joie, ou notre plus grande douleur; pour dire ce qui nous habite. Les mots peuvent être grâce ou malédiction. On doit apprendre à bien dire, à dire du bien, car à dire du mal, on s’enferme, on s’emprisonne. Bénir, c’est grandir. Bénissez, ne maudissez pas.
La vie est UNE. Elle se manifeste comme un arc-en-ciel. Ce serait dommage de ne connaître qu’une couleur de l’arc-en-ciel, de ne connaître qu’un climat de notre corps.
Il y a aussi le corps de désir. Le désir, ce n’est pas seulement la pulsion. Le désir, c’est l’orientation qu’on donne à sa vie. Qu’est-ce que je désire vraiment? On a tendance à avoir une multitude de désirs. On s’éparpille. On doit retrouver notre désir essentiel, celui qui nous habite. On doit se demander « Qu’est-ce que la vie veut en moi? Qu’est-ce qu’elle veut de moi? Qu’est-ce qu’elle désire en moi? Qu’est-ce que j’ai à faire dans cette vie que personne d’autre ne peut faire à ma place? ›› Cette vie qui prend une forme particulière, un corps particulier, un visage particulier, qu’est-ce qu’elle veut expérimenter en chacun de nous? Chacun de nous est une façon unique d’incarner cette grande Intelligence qu’est la vie. Il est important d’écouter cette vie qui nous traverse, de retrouver notre orientation, notre lumière. Dans un couple, on peut s’entendre très bien au niveau sexuel, de l’appétit ou des émotions, mais parfois on n’a plus le même désir, c’est-à-dire on n’a plus la même orientation. « S’aimer, ce n’est pas seulement se regarder l’un l’autre, mais c’est de regarder ensemble dans la même direction. ››, dit le Petit Prince.
Puis il y a le corps de sentiments. Là, c’est quand le corps est habité par la compassion. C’est le corps qui a un cœur.
On le différencie des émotions?
Oui. Dans le mot émotion, il y a moteur. On est mû. On est ému. On est mis en mouvement par les choses extérieures.
Le sentiment, lui, vient de l’intérieur. Je peux avoir de la compassion pour quelqu’un que je n’aime pas émotionnellement, quelqu’un qui ne me touche pas. La compassion est quelque chose de plus profond. Quelquefois, deux personnes peuvent se rencontrer dans leur corps de sentiments, même si sur le plan de la libido, ça ne marche plus; même si sur le plan du corps des émotions ou de celui des appétits, on a du mal à se comprendre. Malgré tout, il y a cet amour inconditionnel de l’un envers l’autre. C’est un amour durable, parce qu’on aime l’autre pour lui-même, même s’il ne nous excite plus, même si émotionnellement, il ne nous propulse pas dans la joie.
À partir du corps de sentiments, on pourrait dire qu’on entre dans les dimensions spirituelles. Après ce corps, on retrouve le corps imaginal. Il ne s’agit pas d’imagination, mais plutôt de songes. On peut rencontrer quelqu’un dans son corps de songes, notre corps de rêves, c’est-à-dire sur le plan de l’archétype, des images de l’homme et de la femme que l’on porte en soi. Quand on a un coup de foudre, c’est parce qu’on rencontre quelqu’un dont on connaît l’image à l’intérieur de nous-mêmes; comme si on l’avait déjà rencontré dans ses rêves, dans ses songes. Il est important de partager les mêmes songes, les mêmes rêves que notre partenaire.
Quelquefois, on dort dans le même lit, mais on ne dort pas dans les mêmes rêves, et le réveil peut être brutal! Partager le rêve de l’autre, le songe de l’autre, c’est partager les grandes images qui nous habitent, de l’homme, de la femme, du cosmos…
Et puis, si on creuse un peu plus profondément dans tous ces climats qui habitent notre corps, on découvre le corps de louanges. Le corps de louanges, comme tous les autres, peut être malade. On va bien, on est intelligent, on a tout ce qu’il faut, mais on est malheureux. Ça ne chante pas, ça ne célèbre pas, ça ne remercie pas à l’intérieur de nous. Quelquefois, on empêche la vie de chanter dans notre corps. Quand on est dans la louange, on entre vraiment dans la grande santé, dans la célébration de la vie. On chante ensemble et même si on se tait, c’est un silence qui chante. Ça, c’est merveilleux!
Maintenant, on s’approche du corps de lumière. On entre alors dans la dimension de l’infini qui est en nous, là où notre matière est transfigurée. On voit la lumière qui l’habite. La matière et la lumière ne sont pas séparées. La matière est simplement la forme la plus lente, la plus dense de la lumière. C’est pourquoi le corps, c’est de la lumière aussi, c’est de la vie. C’est à travers notre corps que l’on peut éprouver la vie. Sentez tout le respect que l’on doit avoir à l’égard de notre corps. Personne ne peut voir la vie, mais dans notre corps, on peut l’expérimenter. Tout ce que nous savons de la vie, c’est à travers le corps qu’on le sait.
Et petit à petit, on est conduit vers notre corps de silence, cette dimension en nous qui ne fait pas de bruit. Notre corps le plus intime, le plus spirituel, est silencieux. Ce corps peut être malade chez certains d’entre nous qui avons peur du silence. Obscur et lumineux silence. Ce silence n’est pas celui du non-dit. Ce n’est pas un manque de paroles, mais plutôt un silence de plénitude.
Y a-t-il un ordre dans lequel ces différents corps se développent ?
Je crois que c’est différent pour chaque individu. Certains corps nous sont très familiers et on vit davantage dans l’un que dans l’autre. Certaines personnes ne vivent que dans leur corps d’appétits. On pourrait dire qu’ils vivent dans leur ventre. D’autres sont bloqués dans leur corps de paroles, ils vivent dans leur cirque intérieur où les paroles sont incessantes, ça submerge tous les autres corps. D’autres vivent beaucoup dans leur corps de louanges, mais ils oublient leur ventre ou leur libido. Je crois qu’il est bon de savoir que « le corps ›› est composé de ces différents corps pour comprendre que l’être humain, c’est tout ça à la fois. Il s’agit donc, pour nous, de vivre toutes ces dimensions ensemble, de ne pas en privilégier une au détriment d’une autre.
CONNAÎTRE TOUTES LES COULEURS DE L’ARC-EN-CIEL
Sommes-nous tous appelés à explorer chacun de ces climats ?
Nous sommes appelés à explorer notre entièreté. La vie est UNE. Elle se manifeste comme un arc-en-ciel. Ce serait dommage de ne connaître qu’une couleur de l’arc-en-ciel, de ne connaître qu’un climat de notre corps. Nous sommes tous plus ou moins blessés dans l’un de ces climats. Pour chacun de ces corps, il y a une thérapie particulière, que ce soit pour soigner les problèmes d’anorexie, de boulimie, de libido ou les problèmes d’émotions. Il y a des personnes qui n’ont plus d’émotions ou qui, au contraire, sont complètement submergées par leur monde émotionnel. D’autres ont du mal avec la parole, avec le langage ou avec la pensée. Avoir une pensée claire pour certains, c’est quelque chose de très difficile.
On peut tous se soigner. Ce qui est intéressant, c’est de voir combien de corps se rencontrent dans un couple. S’il y en a deux ou trois, c’est déjà beaucoup.
Ouf, merci de préciser!
La rencontre d’un être entier avec un autre être entier est très rare… Cela peut être l’occasion pour nous de nous interroger : « Quels sont les corps que je n’ai pas explorés? Est-ce mon corps de louanges? L’ai-je un peu abandonné ou est-ce qu’au contraire, je ne le respecte pas du tout? ›› Il s’agit toujours de respecter tous nos corps. Si je ne respecte pas mon corps d’appétits, je le nourris mal, je le maltraite. Si je ne respecte pas mes pulsions, je ne les écoute pas; pas pour en être les esclaves, mais pour les relier avec le cœur, avec le sentiment.
La schizophrénie, par exemple, c’est quand une partie de nous-mêmes est coupée des autres.
AU COEUR DE LA SOUFFRANCE : UN SECRET
Beaucoup de gens souffrent énormément dans leur corps.
Physiquement, j’entends. Qu’aimeriez-vous dire aux personnes qui doivent traverser une épreuve très rude à ce niveau ?
Je crois qu’il faut bien distinguer douleur et souffrance. La douleur est vraiment physique. Les animaux ressentent de la douleur, tout comme les enfants ressentent de la douleur. La souffrance vient parfois du mental qu’on rajoute. J’aime bien utiliser la parole de Saint Paul qui disait qu’on a juste la force qu’il faut pour l’épreuve du moment présent. C’est-à-dire qu’on a toujours l’énergie qu’il faut pour affronter l’instant. Mais notre problème, c’est qu’on rajoute des commentaires ou des questionnements : « Qu’est-ce qu’il va m’arriver demain? ›› Et là, c’est trop, on est submergé.
Et quelquefois, la douleur peut être insupportable et mystérieuse. Dans l’expérience de mort clinique que j’ai vécue, cela faisait tellement mal que je ne sentais plus rien. Comme si au cœur de la souffrance, il y avait, en moi, un lieu qui ne souffre pas.
Pour le thérapeute, il s’agit de soigner la plaie, de tout faire pour soulager la douleur. On est bien d’accord. Mais il s’agit aussi de découvrir qu’il y a un lieu, en nous, qui ne souffre pas, qui est au-delà de la souffrance. Il y a un silence, je dirais. Je pense à de grands sages comme Ramana Maharshi qui souffrait d’un horrible cancer de l’épaule. Son médecin disait 2 «Je ne comprends pas. Je vois que le corps de cet homme crie de douleur et en même temps, quand je le retrouve, il est tout serein, tout tranquille. Comment est-ce possible? ›› Quand on demandait à Ramana Maharshi : « Pourquoi ne vous guérissez-vous pas vous-même? ›› Il répondait : « Mais non, le cancer fait partie des maladies de notre époque. Mon corps appartient au corps de l’humanité, comme tout le monde. Ce que je peux montrer, c’est comment le vivre. Je ne suis pas l’objet de ma souffrance. J’en suis le sujet, le disciple. Ce cancer, je peux en faire quelque chose. Je peux en faire une occasion de conscience, une occasion d’approfondissement. ››
Il faudrait tout de même préciser que souffrir n’est pas nécessaire. La vie parle à chacun un langage qu’il comprend. Pour certains, elle parle un langage très doux, le langage des fleurs, de la beauté. Il y a d’autres personnes qui ont besoin d’un langage plus dur pour prendre conscience d’eux mêmes et du miracle d exister Pour le jeune athée que j’étais autrefois, l’expérience de mort clinique s’est avérée nécessaire pour que je comprenne qu’il y avait une vie plus grande que cette vie mortelle. A l’époque, je ne pouvais pas le croire, parce que je ne croyais à rien Donc la vie m a conduit à un moment où il n’y a plus de je peux ou je ne peux pas le croire. J’ai compris que la vie est toujours la, même quand mon corps est considéré comme mort. Ce n’est pas la peine d’attendre de mourir pour connaitre ce don-là, mais quand on souffre, le premier remède c’est de ne pas en rajouter avec du mental avec de la plainte, de l’anticipation. D’ou l’importance de la méditation
Pour mieux voir en soi-même ?
Pour trouver en soi cet espace qui est libre a l’égard de la souffrance Ni idolâtrie ni mépris… Quand notre idole nous est enlevée, quand notre corps vieillit se déforme et quand il meurt, on pourrait avoir l’impression de tout perdre, mais on ne perd pas la vie. On perd la forme à travers laquelle la vie s est manifestée en nous.
A quoi cela servirait-il d’attendre d’être malade de souffrir ou de mourir pour s’éveiller à ce lieu de soi qui est dans notre corps ? La vie nous est donnée, puisqu’on ne la crée pas soi même. On la reçoit On accueille ou refuse le don. Ce qui est fou, c’est qu’on a beau refuser la vie cela ne l’empêche pas de se donner. On peut fermer ses fenêtres à la lumière, cela ne l’empêche pas de briller. On peut fermer sa porte au soleil, cela ne l’empêche pas de se donner. La vie est et sera toujours.
VlVRE C’EST
Vivre notre corps dans toute sa grandeur !
Le corps c’est l’invisible devenu visible c est la Vie qui s’expérimente elle-même dans un espace temps lors d une incarnation terrestre. Nous n avons ni à idolâtrer ni à mépriser notre corps, nous devons permettre à la vie de s’y exprimer dans toute sa grandeur.
Notre corps sera toujours la vie devenue matière l’invisible devenu visible.
On doit donc apprendre à voir au delà de la matière ?
La science tente parfois de réduire le corps à un objet. On doit plutôt aborder le corps comme un phénomène, comme une manifestation. On doit savoir le regarder avec ce regard qui vient des profondeurs de notre cœur, ce regard qui cherche la beauté la grâce dans toute chose, la vie en toute chose. ll y a en nous une lumière que les ténèbres ne pourront jamais éteindre il y a en nous quelque chose qui est même plus fort que la mort.
La vie prend conscience d’elle même dans l’être humain que je suis, dans le corps que je suis. On ne doit donc pas regarder le corps uniquement sur le plan de son apparence, mais regarder l’apparition de la vie dans ce corps. Quand on passe du monde des apparences à celui des apparitions, notre vie prend tout son sens.
Nous devons donc prendre de l’altitude ?
Notre façon de percevoir notre corps doit s’élever au dessus du monde des apparences. Nous devons passer du mode de l’avoir à celui de l’être ; passer de la vérité que l’on a à la vérité que l’on est ; de la vie qu’on a à la vie qu’on est ; du corps que l’on a au corps que l’on est.
Le corps que l’on a va mourir. Le corps que l’on est ne mourra jamais, car le corps est ce lieu ou la vie s’éprouve elle-même. C’est la vie qui s’expérimente dans l’espace temps dans lequel je suis. Qu’allons nous faire de cette épreuve, de cette expérience ? Comment allons nous en faire l’occasion d’une grâce ? L’amour aura toujours le dernier mot. La vie aura toujours le dernier mot. Et cet amour, cette vie s’incarne dans notre corps. A nous d’en faire une Grâce.
Dossier : Le corps Ami ou Acquis?
Propos recueillis par Marie-Josée Tardif (journaliste et conférencière)
du Magazine VIVRE, Montréal, Canada
Lucie Douville : Directrice de publication
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