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Brève Histoire du Mont Athos I. Athos mythique Eschyle fait du Mont Athos une des résidences de Zeus ; déjà règne sur ses sommets la « Présence de l’Éclair »… Puis vint la guerre des géants, l’un d’eux Athos, jeta sur Poséidon une « pierre », celle qui allait devenir « la sainte montagne », lorsque manquant sa cible, elle s’enfonça dans la mer Égée ; certains disent au contraire qu’elle devint le sépulcre sacré du dieu des tempêtes…

Celui-ci en effet se réveille régulièrement pour secouer la montagne et tente de la dissoudre dans les eaux ; mais « cela n’arrivera pas », disent les athonites, parce que la « Theotokos » protège ce lieu, depuis son passage par ici, il y a bien longtemps, cet endroit est son jardin et un refuge pour tous ceux qui cherchent « l’hésychia » (le Silence et la paix intérieure). II. Athos antique Hérodote et d’anciens géographes mentionnent six villes dans la péninsule : Dion, Thyrsos, Cleonae, Acrothoi, Charadrores et Olophyxos. À l’extrémité méridionale de la péninsule une violente tempête fit couler, en 491 av J.C. la flotte perse du général Mardonios. Voulant éviter une nouvelle victoire de « Poséidon », Xerxes, dit-on, fit creuser l’isthme d’Ierissos qui relie le mont Athos au continent, et évita la catastrophe. En 368 av J.C. la péninsule et ses six villes devinrent partie intégrante de l’état de Philippe de Macédoine. Quelques années plus tard son fils Alexandre le Grand devint roi de Macédoine et intégra toute la Grèce dans son empire ; on raconte qu’à cette époque un architecte du nom de Dinocrates voulut tailler le Mont Athos pour en faire une statue colossale de l’Empereur. C’est la Theotokos elle-même qui inspira à l’empereur un peu de modestie, ainsi elle préserva de nouveau, « son Jardin… » III. Athos évangélique En 306, Constantin étant devenu empereur, après sa conversion l’Athos devint avec lui une terre chrétienne. Quelques ermites y trouvèrent un havre de paix où ils pouvaient dans les grottes et les forêts d’alors « vivre selon l’Évangile » et pratiquer leurs ascèses. C’est à partir du VIIe siècle, suite aux invasions de l’Islam en Cappadoce, que de nombreux moines vinrent se réfugier au Mont Athos. Au VIIIe siècle, l’histoire retient le nom de Pierre de l’Athos et note l’arrivée vers 860 de Euthonios le Nouveau. La tranquillité des moines étant menacée par les incursions de brigands ou de bergers avec leur familles, il fallut une ordonnance impériale (la Chrysobulle de l’empereur Basile I le Macédonien de 885) pour leur interdire formellement l’accès. Seuls les moines avaient le droit d’habiter le « jardin de la Vierge » ; certains brigands et certains bergers ayant des « harems » plutôt volage, on dut également interdire l’accès à cette terre consacrée à l’ascèse, non seulement aux femmes mais aussi aux « animaux femelles », la zoophilie étant une pratique fréquente à l’époque. Mais les moines de l’Athos le savent, il ne suffit pas d’une chrysobulle pour être en paix avec ses instincts. Le combat avec les pensées (logismoï) ou l’apaisement du mental est une victoire plus profonde… C’est ce qu’un moine et un empereur essayeront de vivre et de transmettre. C’est en 963 en effet que St Athanase l’Athonite fonde et organise la vie monastique au Mont Athos. Grâce aux dons de son ami l’empereur Nicéphore Phocas, une grande laure (la Grande Lavra) et son église centrale (catholicon) purent être construites. À l’image de monastère de Studios à Constantinople, Athanase pensait faire du Mont Athos un immense ermitage. Il fit accepter un modèle d’organisation monastique par l’autorité impériale, les « typika » ou règles, organisant et orientant la vie des moines. Ces « typika » furent confirmés en 972 par Jean Ie Tzimisiès. En 1046 un nouveau « typikon », portant le sceau impérial de Constantin IX Monomaque, confirma l’organisation et les règles de vie des Coenobium (monastères cénobitiques). Durant cette période furent construits les monastères de Xeropotamou, Vatopediou, Hagiou Paulou, Zographou et Iviron. À noter que presque tous les grands monastères du Mont Athos furent bâtis avant le schisme de 1054. À cette époque, l’Église était une communion d’églises comme l’Athos était une communion de monastères, libres et indépendants juridiquement, mais partageant la même foi et célébrant les mêmes « mystères ». L’Église était Une, sainte, catholique, apostolique ; unie dans la diversité, à l’image de la « Sainte et Bienheureuse Uni Trinité » ; cette image que l’ambition, l’ignorance et l’orgueil des hommes allaient briser… Vers 990 dans l’immédiat voisinage des moines de la Grande Lavra, s’installa une importante communauté de bénédictins, vivant non pas sous la règle de St Athanase, mais sous celle de St Benoît ; elle était soutenue financièrement par les Amalfitains de Constantinople. Ils y demeurèrent près de trois siècles. Les vestiges de ce monastère dédié à la Vierge sont encore visibles près de la baie de Morphonou (coté est de la presque île). Une tour, bon exemple de fortification monastique, semble défier plus de huit siècles de mépris et attendre « la diversité réconciliée » qui ferait de l’Athos une terre véritablement orthodoxe et catholique – une terre évangélique. Mais avant d’en arriver là, il faudra beaucoup de pardon mutuels, surtout de l part des orthodoxes, car la mémoire des crimes de leurs frères occidentaux est toujours vive…IV. Athos dévasté En 1053 le pape de Rome, Léon IX et le patriarche de Constantinople, Michel Cérulaire s’excommunient l’un l’autre pour des raisons sans doute théologiques (la procession du St Esprit, filioque), canoniques (mariage des prêtres, pain azyme, barbe, coutumes, rites, etc), mais certainement politiques (rivalité entre l’empire byzantin et l’empire « barbare » qui commence à s’organiser en empire latin). Quand le politique l’emporte sur l’éthique, les conflits d’idées deviennent vite des conflits armés, mais à cette date, la tranquillité de l’Athos ne semble pas encore touchée et l’unité monastique pas encore brisée. Ce n’est qu’avec la quatrième croisade qui déferla sur Constantinople en 1204 que l’irréparable fut consommé : Destruction d’églises, de monastères, pillage des reliques et autres trésors, meurtres de moines, d’évêques, etc.

On comprend que par la suite les byzantins tolérèrent l’invasion des musulmans plus facilement que les crimes incessants de leurs frères latins… La « sainte montagne » est alors sous la domination des francs et du roi de Théssalonique Boniface de Mont Ferrat et de l’évêque latin Sébaste ; elle subit de terribles massacres, pillages, incendies suite au refus des moines de se soumettre à Rome. Bien que le pape Innocent III dénonça les conséquences néfastes et déviées des croisades il confirma néanmoins une fois la « conquête » opérée, la nomination du vénitien Morosini sur la chaire du patriarche Photius. Les deux églises, de Rome et de Constantinople, ne cesseront alors de s’éloigner l’une de l’autre. Devant la nouvelle menace représentée par les Ottomans, Michel VIII Paléologue (1259-1282) ainsi que le patriarche Beccos tentèrent de s’unir à Rome pour lutter ensemble contre l’ennemi commun ; Michel VIII se fit représenter au Concile de Lyon (1274) et accepta à titre personnel « l’union ». Celle-ci ne fut acceptée par aucun orthodoxe, on priva même le paléologue de sépulture à cause de son « apostasie ». Andronic II Paléologue (1282-1328) essaya de le réhabiliter, ce qui déplut non seulement aux moines mais à ses alliés catalans qui de 1305-1307 se vengèrent sur l’Athos et ne laissèrent que des ruines après leur passage. V. Athos reconstruite Ce sont les princes orthodoxes serbes, bulgares et russes qui offrirent aux moines, le nécessaire à la reconstruction de leurs monastères, le roi Milutin, le gendre serbe de l’empereur Andronic II Paléologue restaura Chilandari ; Étienne IV Douchan (1331-1355) après avoir conquis la Macédoine s’imposa en maître et protecteur des « Hagorites » (1346) ; c’est à cette époque, que sont reconnues les voix et les œuvres de Grégoire Palamas et de Nicolas Cabasilas comme authentiques défenseurs de l’hésychasme et de l’orthodoxie. C’est fondé sur leurs doctrines que les orthodoxes refusèrent le concile de Ferrare-Florence (1439) organisé par l’Église de Rome. Désormais l’Église orthodoxe, fidèle à l’Église indivise du premier millénaire, communion d’Eglises, distinctes, mais non séparées, unies, mais non confondues ou uniformes, s’appellera « l’Église des Sept Conciles Œcuméniques » et refusera toutes innovations dogmatiques ou canoniques.VI. Athos ottomane Si l’Église orthodoxe demeurait solide sur le fondement de ses Sept Conciles Œcuméniques, elle n’en était pas moins dénuée de tout pouvoir : l’Empire Byzantin s’écroulait, l’Empire Ottoman prenait sa place. Murad II avait déjà conquit Théssalonique en 1430 et les moines lui prêtèrent allégeance ; en échange Murad s’engageait à respecter les propriétés des monastères, ce qui fut ratifié par Mehmed II après la chute de Constantinople en 1453. Les monastères du Mont Athos ne pouvant plus bénéficier de l’aide de l’empereur ne tardèrent pas à se dégrader ; de cénobitique, les monastères devinrent idiorythmiques, afin de préserver les quelques biens qui pouvaient subsister après le règlement de taxes de plus en plus lourdes. Durant le XVIe siècle la Grèce, la Bulgarie, la Serbie et l’Albanie furent transformés en provinces ottomanes. Seul les peuples qui réussirent à préserver leur indépendance politique purent apporter aide et secours aux moines de l’Athos : les Roumains, Valaques et Moldaves, les russes, les ukrainiens et les caucasiens. Bienfaiteur de Zographou, le Moldave Etienne le Grand (1457-1504) fit rebâtir Vatopédi et St Paul ; ses fils Alexandre, Bogdon et Pierre, aidèrent Grégoriou, Konstamonitou, Karakalou, Protaton ; Pierre refit en 1534 le catholicon de Dionysiou, etc. Au XVIIe siècle ce furent les princes Michel le Brave, Matthieu Basarab, Serban Cantacuzène qui permirent aux Athonites de survivre. Au XVIIIe siècle ce sont les russes qui vont affirmer leur présence, particulièrement au monastère St Pantéleimon. C’est à cette époque qu’on assiste également à un réveil des nations, qui lasses de supporter le joug ottoman aspirent à retrouver leur identité. L’académie ecclésiastique athonite (Athonias) où enseignèrent d’éminents théologiens (Eugène Vulgaris, Athanase Parios) avec l’imprimerie du moine Cosmos, à la Grande Lavra, participa à ce « réveil des nations ». Malheureusement la révolution d’Etienne Papas en 1822 pour l’indépendance de la Grèce eut pour conséquence une « occupation féroce » jusqu’en 1827 des turcs-ottomans, qui de nouveau saccagèrent les monastères, leurs manuscrit et leurs trésors. VII. Athos grecque Jusqu’en 1912, les moines de l’Athos furent sujets ottomans ; l’appareil administratif de cet empire ne s’intéressant pas aux règles et coutumes intérieures de la communauté monastique, le statut interne du Mont Athos demeura inchangé. Depuis l’indépendance de la Grèce (1821) c’est l’état grec qui établit sa souveraineté sur l’Athos ; celle-ci ne s’appliqua réellement qu’à partir de 1912 (des différents entre pays grecs et pays slaves ayant dû être traversés, concernant leur prééminence sur la Sainte Montagne, avec le Tzar russe particulièrement…). Désormais tout moine de l’Athos est considéré comme citoyen hellène. Après la révolution russe (1917) et l’établissement de l’empire communiste sur les pays slaves, les monastères dépendants de ces pays furent largement dépeuplés et appauvris tandis que les monastères grecs se maintenaient le mieux possible. Poste stratégique d’observation des mouvements des navires de guerres et des sous-marins au cours des deux guerres mondiales, Athos fut soumis à une surveillance militaire de la part des alliées qui combattaient les turcs. Durant ces années l’intérêt spirituel pour le Mont Athos avait largement diminué, beaucoup de moines étant des aventuriers qui cherchaient dans la montagne un refuge contre la justice plutôt qu’un lieu d’exercice des plus hautes vertus. Le millénaire du Mont Athos en 1963 fut l’occasion d’une prise de conscience et d’un « retour »… ; de nouveaux moines instruits et motivés repeuplèrent les monastères. Depuis 1992, le Mont Athos s’ouvre à la modernité : électricité, routes désertées par les ânes, mais offertes à de rutilants 4×4…, bibliothèques informatisées, douches, toilettes… (luxes inconnus il y a trente ans !), téléphone portable, ports modernes accueillants de superbes vedettes pilotées par des archimandrites légèrement décoiffés. Athos fait désormais parti de l’Europe. Tout en préservant ses typika archaïques l’argent de la Banque Européenne d’Investissement participe à la restauration de l’ensemble des monastères. Athos fait désormais parti pour l’Unesco du « patrimoine mondial de l’humanité ». L’électricité va-t-elle chasser du cœur des moines le goût de la lumière incréée ? Le tourisme va-t-il détruire ce que des siècles de barbarie n’ont pas réussi à effacer ? Vaines questions, comme le disait Valéry à propos de l’Être (une infime impureté dans l’infini pureté de Non Être), ici, l’Histoire n’est qu’une infime impureté dans l’infini pureté de la Vie Eternelle… Aujourd’hui comme hier, c’est Elle, « Haghia Sophia » que les moines viennent chercher ici : « la Vraie Vie »… Face aux apocalypses qui nous entourent, la prière au cœur du moine est toujours la même : « Saint Dieu, Saint Fort, Saint Éternel, « Aie pitié de nous… « Seigneur Jésus Christ, Fils du Dieu Vivant… « Kyrie Eleison « Gospodi pomiju »…

Date de parution: octobre 2007
Éditeur: Philippe Rey
Format: 25cm x 28cm
Nombre de pages: 160